Dado (Miodrag Djuric) est décédé le 27 novembre dernier, âgé de 77 ans.
Ses dessins et tableaux à l’huile, mais aussi ses graphiques, collages, assemblages et sculptures, sont répartis dans des galeries d'art, d'importantes collections privées et de nombreux musées notamment au MoMA et à la fondation Guggenheim à New York et au musée national d'art moderne à Paris.
« […] Amateur de vieilles planches d'anatomie, Dado puise ses références livresques au hasard des bibliothèques de ses amis psychiatres ou dermatologues : auprès de L'homme criminel de Lombroso, on trouverait des manuels illustrés de médecine légale, des atlas de dermatologie. Son bestiaire résulte de rencontres fortuites mais inévitables au "vide-moi-cela" des bouquinistes : les portraits d'animaux rédigés par Buffon pour son Histoire Naturelle y ont épousé les illustrations de Grandville pour les Scènes de la vie privée des animaux. Dado se sentait attiré autrefois par l'atmosphère des romans de Céline, depuis il a découvert le Voyage en Orient, les Illuminés de Gérard de Nerval. Il médite les textes plus qu'il ne les lit et revient toujours au Livre de Job qui est sa Divine Comédie. A ces quelques titres, il faudrait ajouter plus prosaïquement de petites publications, chapardées à ses enfants, consacrées aux insectes, à
Christian Derouet, “L’exaspération du trait”, catalogue de l’exposition Dado au Cabinet d’art graphique du Centre Pompidou (19 nov. 1981 – 18 janv. 1982), p. 10.
« […] Est-ce par l’épouvante qu’ils sèment ou qu’ils voudraient semer, les monstres s’allient presque naturellement à la représentation du pouvoir chez les hommes. Le Moyen Âge croyait davantage à ses démons qu’au paradis et Jérôme Bosch aussi avait meilleure connaissance des délices démoniaques que de l’enfer des délices. Les fétiches sauvages, les divinités antiques, le monde grec excepté qui délirait ailleurs, représentent trop souvent des êtres qui grimacent et déchirent et rares sont dans les cosmogonies et dans les mythologies premières les figures apaisées. Le fantasme du chaos resurgit sans cesse et le fantasme est le chaos.
Dado, Sans titre, 1972-1981, encre de Chine, 75 x 52,5.
Est-ce ce seul titre, triptyque de Pali-Kao, et le grotesque personnage qu’il m’évoque, sont-ce ces crucifixions dérisoires de phallus et de vautours, ces excroissances exagérées de ventres et de crânes, je lie les représentations de Dado au bonheur et à la fécondité réaffirmée du chaos et du désordre de la nature. Pouvoir viril, pouvoir sanguinolent de la croix sur le monde, pouvoir de l’animal, pouvoir de l’indistinction des formes et de la nuit mentale, tant de manifestations différentes d’un pouvoir quelconque surgissent à l’invocation de la main qui les peint et viennent tout à tour “chevaucher”, comme l’expriment les serviteurs des divinités vaudous, dans une transe particulière celui qui les guette à l’aube, ne sachant qui apparaîtra dans la lumière unique de ce jour et s’il pourra vraiment en fixer la forme et les attributs, sachant seulement que quelqu’un viendra parce que la vision est infinie et se renouvelle sans cesse, et que la tradition psychologique humaine dont le peintre est le témoin fait déjà de cet individu fantastique à venir une réalité de la lumière qu’aucun masque ne peut cacher.
Mais les monstres, les aberrations s’appellent entre eux dans le lieu d’une perpétuelle métamorphose. Ils ont leur zoologie, leur anthropologie propres, ils ont leurs goûts de couleurs et leurs choix d’atmosphères, ils se plaisent à réapparaître, à imposer leurs noms.
Dado, Le boucher de Saint-Nicolas, 1981, collage de dessins découpés, 182 x 207 (détail).
[…] La divagation médiévale se plaisait aux monstres et aux chimères, mais il n’est, si loin que l’histoire nous entraîne, de civilisations, de pensées qui n’aient connu d’enfers. L’école des monstres est un rêve d’avenir. Je ne citerai cet exemple que parce que la vérification qu’il apporte est pour moi toute récente, inopinée, surprenante et hasardeuse même. J’attends tout de l’Égypte et des fastes incas, les visualisations les plus anthropomorphiques du monde dans les moindres objets, les vases, les broches, les vasques des fontaines, la symbolique des fresques déployée sur l’infini des murs, refermés sur eux-mêmes, comme le tombeau de qui les contemple. Combien plus étonnant de retrouver cela dans le délire raisonné de
“Dado : Les habitants de la prairie”, Henri-Alexis Baatsch, Fin de siècle n° 3, janvier 1976.