dimanche 17 juillet 2011

Ingres collages





Adrien Goetz, Ingres collages. Dessins d’Ingres du Musée de Montauban, Musée Ingres, Le Passage Editions, 2005.


« Découpages, montages et collages, matériaux assemblés
Ce n'est pas parce que Le Chef-d'œuvre inconnu de Balzac a ému Cézanne jusqu'aux larmes et qu'il a été illustré par Picasso qu'il est “moderne”. La nouvelle, qui décrit la première toile abstraite avant l'abstraction, était déjà “moderne” aux yeux de ses premiers lecteurs, quand elle parut, en une première version, dans la revue L'Artiste. Peut-être parce qu'ils y reconnaissaient certains traits du combat des romantiques et des classiques, des phrases inspirées par Delacroix ou par Ingres.
De la même manière, ce n'est pas parce que les artistes du XXème siècle ont inventé le collage bien après Ingres – et en ignorant à quel point le peintre de Montauban avait été précurseur – que les collages d'Ingres sont “modernes”. Le propos n'est pas ici de faire entrer de force ces papiers découpés, rapiécés, raboutés, dans le champ de la modernité, de les inscrire, malgré M. Ingres, dans la grande saga épique conduisant “nécessairement” aux collages de Braque, de Picasso, d'Ernst ou de Duchamp.
Les collages d'Ingres sont modernes en leur temps, cela suffit. Parce qu'ils sont singuliers. Parce qu'ils le révèlent. »

« Equations
Avant Rodin, Ingres comprend que l’on peut assembler des éléments isolés d'œuvres antérieures, pour, en les combinant, créer autre chose. Dans l'atelier de Rodin, on parle de “marcottage”, technique de greffe, en botanique, dont le nom ne dérive nullement, malgré les apparences, de celui de la famille Marcotte, les amis d'Ingres.
Le collage – marcottage – prend alors la forme d'une équation : le bras de Démosthène croqué pour L'Apothéose d'Homère “plus” le visage de Virgile mis au carreau pour Virgile lisant l'Énéide “donnent” une étude pour Homère déifié. Ailleurs, le collage sert pour la “mise en place”. Un calque de Platon collé à un calque de Socrate “donne” le dessin qu'il suffira de mettre au carreau pour le reporter sur la toile de L'Apothéose d'Homère. »

Démosthène, bras (réalisé pour L'Apothéose d'Homère, Louvre, 1825); collé : Virgile, tète (destine au tableau de Bruxelles Virgile lisant “L'Énéide”, 1812, également adapté dans Homère déifié, Louvre, 1864-1865). Mine de plomb sur papier végétal, collé sur calque, 14,1 x 11,7 cm.

« Des mots collés aux images
Les morceaux de textes collés envahissent tout dans une feuille pour L'Age d'or – peut-être faite pour préparer le grand dessin du musée de Lyon. Les croquis passent en marge, et pour certains, au verso. Les paperolles proustiennes ne sont pas loin. Ingres colle des papiers sur d'autres papiers, parfois en travers. Il mélange tout : « La nuit, l'Érèbe, le chaos, la naissance des monstres, [...] pêches, poires, pomi d'oro, figues, œillets, camomille, printemps, les fleurs tombent de toute part. » Le lecteur peut lire cette page comme il regarderait un dessin fait avec des lettres, promener ses yeux sur cette profusion, piquer un mot, cueillir une bribe de phrase. Ingres gribouille, il faudrait inventer “cacogramme” pour qualifier ces indéchiffrables calligrammes. Le sens est clair : la richesse du monde fait éclater le papier, qui ploie sous la pluie des mots. Un chaos dont la composition peinte, sur les murs, à Dampierre, aura bien du mal à sortir.
Sur trois autres feuilles assemblées, toujours en vue du dessin de Lyon, Momméja, le premier qui ait étudié les dessins de Montauban, a écrit “premières pensées de la composition”. Le dessin s'y mêle franchement au texte. Ingres commence à assembler ses idées – à moins que ce ne soient ses groupes de personnages. Tantôt il dessine, tantôt il écrit, et la phrase devient ainsi l'équivalent mental d'un dessin à faire : “un arbre s'élève au milieu du repas”, aucun besoin de le montrer. Ce sont des notes prises par l'artiste pour lui-même; cet arbre, il le voit. »
Notes manuscrites et quelques croquis pour L'Âge d'or. Plume sur quatre papiers, mine de plomb sur calque pour quelques collés, 40,5 x 49,3 cm.

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