dimanche 1 novembre 2020

Remise en cause de la liberté académique

Remise en cause de la liberté académique

Tribune Le Monde 31/10/2020

« […] L’affliction qu’éprouve le professeur que je suis, devant tant d’ignorance, s’accompagne d’un sentiment de colère. Colère devant l’hypocrisie d’une élite politique qui, soudain, redécouvre l’enseignant et le met au cœur de son dispositif, comme elle l’a fait il y a six mois avec les infirmières, mais n’a cessé depuis quarante ans de malmener financièrement et idéologiquement l’hôpital et l’école. Colère devant le viol de la loi du 26 janvier 1984 – qui garantit aux enseignants et aux chercheurs, dans son article 57, « une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions » – par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, quand il s’en prend aux « ravages » de l’islamo-gauchisme « à l’université ».

Colère encore devant le vote par le Sénat, dans la nuit du 28 octobre, d’un amendement au projet de loi de programmation de la recherche (LPR) qui conditionne l’exercice des libertés académiques au « respect des valeurs de la République ». Cette dernière notion n’a jamais fait l’objet d’une définition juridique ou réglementaire. La rendre opposable à l’exercice des libertés académiques reviendrait à subordonner celles-ci aux pressions de l’opinion ou du gouvernement. L’amendement contrevient d’ailleurs au principe d’indépendance des universitaires, intégré au bloc de constitutionnalité après la décision 93-322 DC rendue par le Conseil constitutionnel, le 28 juillet 1993. […] »

Jean-François Bayart, professeur de sociologie politique à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID, Genève), dernier ouvrage paru : « L’Illusion identitaire » (Fayard, 2018).