Remise en cause de la liberté académique
Tribune Le Monde 31/10/2020
« […] L’affliction qu’éprouve le professeur que je suis, devant
tant d’ignorance, s’accompagne d’un sentiment de colère. Colère devant
l’hypocrisie d’une élite politique qui, soudain, redécouvre l’enseignant et le
met au cœur de son dispositif, comme elle l’a fait il y a six mois avec les
infirmières, mais n’a cessé depuis quarante ans de malmener financièrement et
idéologiquement l’hôpital et l’école. Colère
devant le viol de la loi du 26 janvier 1984 – qui garantit aux
enseignants et aux chercheurs, dans son article 57, « une
entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions » – par
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, quand il s’en prend
aux « ravages » de l’islamo-gauchisme « à
l’université ».
Colère encore devant le vote par le Sénat, dans la nuit du
28 octobre, d’un amendement au projet de loi de programmation de la
recherche (LPR) qui conditionne l’exercice des libertés académiques au « respect
des valeurs de la République ». Cette dernière notion n’a jamais
fait l’objet d’une définition juridique ou réglementaire. La rendre opposable à
l’exercice des libertés académiques reviendrait à subordonner celles-ci aux
pressions de l’opinion ou du gouvernement. L’amendement contrevient d’ailleurs
au principe d’indépendance des universitaires, intégré au bloc de
constitutionnalité après la décision 93-322 DC rendue par le Conseil
constitutionnel, le 28 juillet 1993. […] »
Jean-François
Bayart, professeur de sociologie politique à l’Institut de hautes études internationales
et du développement (IHEID, Genève), dernier ouvrage paru :
« L’Illusion identitaire » (Fayard, 2018).
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