« Aristote règle d'abord une machine merveilleuse : celle d'une optique imaginaire. Le rouge est la maladie des femmes : ce que fait leur corps. Le rouge devient une surface, l'objet et le filtre même de la vision lorsqu'elles se regardent au miroir au moment de leurs règles. La mécanique d'Aristote est faite par un jeu de métaphores (c'est-à-dire aussi, de renvois) entre l'humeur vitrée de l'œil et l'eau gelée du miroir : leur terme commun est le diaphane, condition du visible. Le diaphane est une chose et une catégorie, une substance incorporelle, sans contour, dans laquelle l'acte de vision inscrit ou découpe des figures. Mais cette condition a priori de la visibilité est déjà chose et chose en suspension, ou plutôt suspension de chose. Or ce qui fait apparaître la couleur rouge en une vision sans corps, une pure expansion d'humeur sans contour est un supplément de nature. C'est, qu'au sens propre, le rouge déborde. […] Le rouge est produit (ou fait) par un corps dans des conditions extraordinaires. La production de ce supplément chez Aristote est une digression enchâssée dans des considérations sur les rêves : la question de la vision y est celle des perceptions rémanentes, de la persistance des traces d'objets venus du dehors ou de fabrication d'objets à partir de mouvements physiologiques (de la recherche d'une homostase entre des pressions et des fluides) ; ces objets sont des nuées que l'activité d'un sens (son adhésion), privé du concours correctif des autres sens, crédite de réalité (de formes et de ressemblance). Un travail du diaphane qui convertit l'intérieur en extérieur. A quelque degré, cela ressemble à la conversion de la catégorie en substance. »
Jean Louis Schefer, Question de style, éd. L’Harmattan, 1995, pp. 63, 69 et 70.
Jean Louis Schefer, né à Paris en 1938. Diplômé de l’École des Hautes Etudes : "Les écritures figuratives, un problème de grammaire égyptienne" (rapporteurs R. Barthes, A. Greimas). Il habite à Venise de 1967-68 où il rédige son premier livre, Scénographie d’un tableau, publié en 1969 ; participe au premier structuralisme (sémiologie des arts visuels). Collabore aux revues Tel Quel, Communications, Information sur les sciences sociales, Littérature, Critique, Cahiers du Cinéma. Enseigne de 1970 à 1980 sa recherche (problèmes d’analyse picturale, sciences modernes de la signification, pour une histoire de la culture), aux universités de Paris I, Paris VIII, et tient un séminaire de recherche à l’École normale supérieure (Ulm). En 1975 publie son second livre sur le problème du temps chez saint Augustin (L’invention du corps chrétien : résultat de son enseignement rue d’Ulm : le droit romain et la première théologie). Elabore des essais théoriques sur l’économie du signe dans les systèmes figuratifs : publication d’essais sur la peinture et le cinéma. En 1981 quitte l’enseignement pour fonder une structure d’édition (publication du De Constantia jurisprudentis de Giambattista Vico). Durant les années 80 travaille avec des préhistoriens (nombreuse visites de grottes paléolithiques) sur l’interprétation des figures pariétales (publication en 1999 d’un ouvrage Questions d’art paléolithique). À partir de 1997 publie ses ouvrages aux éditions P.O.L, alterne les essais critiques sur les arts visuels (peinture, cinéma) et la littérature, publie son journal de travail, Main courante. Publie son "Musée imaginaire" en 2004, Une Maison de peinture (éditions Enigmatic). Paru en novembre 2007, L’hostie profanée sur l’histoire du rituel et du dogme dans l’Europe latine durant le Moyen Âge.