La transgression s’efface des œuvres dès qu’il est question de politique, de religion, de sexe, de couleur de peau
Michel Guerrin, rédacteur
en chef au « Monde »
Chronique. Le Monde, 11/09/2020
« […] la transgression s’efface des œuvres dès qu’il est question de politique, de religion, de sexe, de couleur de peau. Ce qui fait beaucoup.
[…] vous trouverez
des tas d’œuvres qui dénoncent le néolibéralisme, le sexisme, l’homme blanc,
les riches, le pouvoir, un cocktail qui brime les pauvres et les minorités. Les
sujets sont pertinents, mais leurs représentations collent tant aux discours
sociétaux qu’ils deviennent un combat moral, regorgent de bons sentiments, sans
imaginaire, nuance ou complexité. Isabelle Barbéris l’a montré dans L’Art
du politiquement correct (PUF, 2019), dans lequel elle dénonce un
nouvel académisme.
On est loin d’un
Genet en littérature, ou d’un Buñuel au cinéma, par exemple Viridiana,
Palme d’or 1961, dans lequel une riche héritière aide des pauvres, qui, un
soir, se saoulent, pillent la maison de leur bienfaitrice et essaient de la
violer – les pauvres sont des riches désargentés. Dans le théâtre, nous dit
notre consœur Brigitte Salino, « il n’y a plus de place pour la
provocation », alors que cet art est celui de l’affrontement des
idées.
[…] Il faut le CV
d’Ariane Mnouchkine – femme, 81 ans, de gauche, talentueuse – pour mettre
en scène des barbus qui tournent un porno, dont un ressemble au Chaplin
du Dictateur, dans Une chambre en Inde.
[…] Un remarquable
dossier de Courrier international (dans le daté 3 au
9 septembre) raconte le cas américain. Les artistes qui
sortent des clous doivent affronter la cancel culture (carrière
ruinée pour actes inadéquats), l’appropriation culturelle (adopter les signes
d’une autre culture), le woke (traquer le privilège blanc),
les trigger warnings (mise en garde des étudiants sur les
passages traumatiques d’un livre), les safe spaces (réservés à
une communauté), etc.
Ces armes sont le
seul moyen de nous faire entendre, disent des militants de minorités. C’est
juste, mais les conséquences tutoient la purification de l’art. Les exemples
pullulent, comme celui, en juillet, du roman de l’autrice américaine Alexandra
Duncan, bloqué à l’imprimerie à cause d’un passage où elle parle au nom
d’un Noir ; elle a demandé pardon pour « une
erreur aussi monumentale ». […] »
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