« Les
sciences sociales sont en danger à l’échelle internationale » 3.
Jean-François Bayart Politologue
Le Monde
09/07/2020
Enjeux financiers et politiques
[…] Face aux calculs cyniques des
preneurs d’otages et des assassins, l’Europe semble tétanisée. Ses
universitaires sont persécutés par dizaines sans qu’elle définisse et mutualise
une stratégie pour parer la menace. En outre, restriction des crédits oblige,
elle a vendu des pans entiers de son université à des pays étrangers en
capacité financière de les acheter pour faire valoir leurs intérêts politiques,
à l’instar de la Chine ou des pétromonarchies. Forts de leurs avoirs et du
marché scientifique qu’ils représentent, ces Etats n’hésitent plus à essayer de
censurer recherches et publications en Occident.
Aujourd’hui, ce sont même certains
membres de l’Union européenne, comme la Pologne ou la Hongrie, qui mettent sous
pression l’Université, y compris à l’extérieur de leurs frontières, quand
celle-ci n’a pas l’heur de plaire à leur conception de l’histoire
nationale. En France, les chercheurs sont de plus en plus inquiétés par la
police ou la cellule Demeter de la gendarmerie nationale [créée en 2019
par une convention entre le ministère de l’Intérieur, la FNSEA et les Jeunes
Agriculteurs pour prévenir les agressions et intrusions sur les exploitations
agricoles] quand ils travaillent sur les mouvements sociaux ou les questions
environnementales, et les nouvelles règles de « déclassification »
restreignent leur consultation des archives contemporaines postérieures à 1940.
Ouvrons les yeux : ce sont bien
les sciences sociales qui sont en danger comme jamais elles ne l’ont été depuis
la fin de la seconde guerre mondiale ou la chute de l’empire soviétique.
Jean-François
Bayart est professeur d’anthropologie et de sociologie à l’Institut de
hautes études internationales et du développement (IHEID, Genève). Il est
coordinateur du comité de soutien à Fariba Adelkhah.