Bengt Jangfeldt, La Vie en jeu. Une biographie de Vladimir Maïakovski, éd. Albin Michel, 2010.
« […] Mi-février, Jakobson retourne à Petrograd. C'est maslenitsa, le jour des crêpes, l'équivalent orthodoxe de Mardi gras. Lili sert des blinis et du beurre. Parmi les invités, les théoriciens de la littérature Boris Eichenbaum, Evgeni Polivanov, Lev Iakoubinski et Viktor Chklovski. Entre deux toasts est fondé l'OPOIAZ, Société pour l'étude du langage poétique. Ce jour des crêpes devait avoir des conséquences inattendues pour le développement de la théorie littéraire en Russie.
L'élément moteur du groupe était Viktor Chklovski, qui rendait souvent visite aux Brik. Il avait l'âge de Maïakovski. Étudiant à l'université de Saint-Pétersbourg, tout le monde le considérait comme un enfant prodige. Dès 1914, Chklovski s'était rendu célèbre en publiant Résurrection du mot, brochure dans laquelle il attaque les théories littéraires caduques qui prétendent que la littérature reflète la vie (réalisme), ou encore une réalité supérieure (symbolisme). Il affirme quant à lui que l'objet de la théorie littéraire doit être « la littérature en soi », ce qui dans la littérature fait la littérature : les rimes et le jeu des sons en poésie, la composition en prose, etc. Il devait plus tard donner son credo dans une formulation assez radicale : « L'art est toujours libre face à la vie, et sa couleur ne reflète jamais celle du drapeau qui flotte au sommet de la citadelle. »
Dans ses théories, Chklovski était influencé par les concepts futuristes de « mot autosuffisant », de « mot en soi ». Les formes anciennes sont usées, « automatisées », ne fonctionnent plus, ne sont plus perçues. Il faut des formes nouvelles, des mots « arbitraires, dérivés ». Les futuristes créent des mots nouveaux à partir de racines anciennes (comme Khlebnikov), « les portent à incandescence par la rime » (Maïakovski) ou en changent l'accentuation par le jeu de la métrique (Kroutchonych). « De nouveaux mots vivants naissent, écrit Chklovski dans Résurrection du mot, et des mots sans âge, comme des diamants, retrouvent leur lustre passé. Ce nouveau langage est incompréhensible, difficile, on ne peut pas le lire comme les cours de la Bourse. Il ne ressemble même pas à du russe, mais nous sommes bien trop habitués à inconditionnellement exiger du langage poétique qu'il soit compréhensible. » À présent qu'émergent de nouvelles orientations esthétiques, ce n'est pas aux théoriciens mais aux artistes de montrer la voie. (pp. 96-98)
[…] Pendant leur séjour à Berlin, Maïakovski et Ossip participent à plusieurs soirées littéraires avec lectures et discussion, entre autres au café Léon et Ossip prononce deux conférences sur le Bauhaus. Maïakovski est également très pris par ses projets éditoriaux. Il signe avec L'éditeur soviétophile Nakanune un contrat pour la publication d'une anthologie et fait imprimer avec des fonds privés Dlia golosa (Pour la voix), une des tentatives graphiques les plus réussies du constructivisme russe : le livre rassemble un choix de poèmes adaptés à la lecture à haute voix, que l’artiste Lissitzky a phrasés typographiquement, de façon à faire comprendre le rythme et l'intonation au lecteur. (p. 215) »
Dans le livre Pour la voix, El Lissitzky voulait restituer les poèmes de Maïakovski avec des moyens typographiques. Le livre a la forme d'un annuaire téléphonique, mais dans les index, les lettres sont remplacées par des symboles graphiques et les titres des poèmes.
« […] Mi-février, Jakobson retourne à Petrograd. C'est maslenitsa, le jour des crêpes, l'équivalent orthodoxe de Mardi gras. Lili sert des blinis et du beurre. Parmi les invités, les théoriciens de la littérature Boris Eichenbaum, Evgeni Polivanov, Lev Iakoubinski et Viktor Chklovski. Entre deux toasts est fondé l'OPOIAZ, Société pour l'étude du langage poétique. Ce jour des crêpes devait avoir des conséquences inattendues pour le développement de la théorie littéraire en Russie.
L'élément moteur du groupe était Viktor Chklovski, qui rendait souvent visite aux Brik. Il avait l'âge de Maïakovski. Étudiant à l'université de Saint-Pétersbourg, tout le monde le considérait comme un enfant prodige. Dès 1914, Chklovski s'était rendu célèbre en publiant Résurrection du mot, brochure dans laquelle il attaque les théories littéraires caduques qui prétendent que la littérature reflète la vie (réalisme), ou encore une réalité supérieure (symbolisme). Il affirme quant à lui que l'objet de la théorie littéraire doit être « la littérature en soi », ce qui dans la littérature fait la littérature : les rimes et le jeu des sons en poésie, la composition en prose, etc. Il devait plus tard donner son credo dans une formulation assez radicale : « L'art est toujours libre face à la vie, et sa couleur ne reflète jamais celle du drapeau qui flotte au sommet de la citadelle. »
Dans ses théories, Chklovski était influencé par les concepts futuristes de « mot autosuffisant », de « mot en soi ». Les formes anciennes sont usées, « automatisées », ne fonctionnent plus, ne sont plus perçues. Il faut des formes nouvelles, des mots « arbitraires, dérivés ». Les futuristes créent des mots nouveaux à partir de racines anciennes (comme Khlebnikov), « les portent à incandescence par la rime » (Maïakovski) ou en changent l'accentuation par le jeu de la métrique (Kroutchonych). « De nouveaux mots vivants naissent, écrit Chklovski dans Résurrection du mot, et des mots sans âge, comme des diamants, retrouvent leur lustre passé. Ce nouveau langage est incompréhensible, difficile, on ne peut pas le lire comme les cours de la Bourse. Il ne ressemble même pas à du russe, mais nous sommes bien trop habitués à inconditionnellement exiger du langage poétique qu'il soit compréhensible. » À présent qu'émergent de nouvelles orientations esthétiques, ce n'est pas aux théoriciens mais aux artistes de montrer la voie. (pp. 96-98)
[…] Pendant leur séjour à Berlin, Maïakovski et Ossip participent à plusieurs soirées littéraires avec lectures et discussion, entre autres au café Léon et Ossip prononce deux conférences sur le Bauhaus. Maïakovski est également très pris par ses projets éditoriaux. Il signe avec L'éditeur soviétophile Nakanune un contrat pour la publication d'une anthologie et fait imprimer avec des fonds privés Dlia golosa (Pour la voix), une des tentatives graphiques les plus réussies du constructivisme russe : le livre rassemble un choix de poèmes adaptés à la lecture à haute voix, que l’artiste Lissitzky a phrasés typographiquement, de façon à faire comprendre le rythme et l'intonation au lecteur. (p. 215) »
Dans le livre Pour la voix, El Lissitzky voulait restituer les poèmes de Maïakovski avec des moyens typographiques. Le livre a la forme d'un annuaire téléphonique, mais dans les index, les lettres sont remplacées par des symboles graphiques et les titres des poèmes.