« […] Le philosophe Jean-Louis Vullierme propose de nommer «pagliacisme» la pratique de l’outrance typique de Trump, terme formé à partir du mot italien pagliaccio, qui signifie «clown» (2). Il ne s’agit pas d’un populisme mais d’un théâtre césarien : le tyran prouve son droit à la tyrannie en exhibant dans la transgression les signes de la surhumanité qui lui permettent de s’affranchir de l’ordre des convenances. Ces signes sont éminemment virilistes, ce pour quoi ils doivent s’accompagner de vulgarité. Trump ne veut pas être adoré comme un «homme du peuple» ou un «citoyen ordinaire» : il veut être adoré comme un être d’exception cumulant tous les superlatifs – le plus riche, le plus intelligent, le plus hostile au «deep state» (mot codé pour désigner l’Etat de droit et ses fonctionnaires loyaux)… Il ne propose pas à ses électeurs de se ressaisir comme un peuple assuré de ses droits : il leur offre de s’identifier à un «super-gagnant» et à partager avec lui les jouissances de la désinhibition des dominants. Autrement dit, les partisans de Trump réunis au Capitole ne pratiquent pas ce que le philosophe Claude Lefort appelait «démocratie sauvage», soit les formes non domestiquées de la défense de l’égalité et des droits. Ils traduisent plutôt ce que Patrick Savidan appelle une «démocratisation du sentiment oligarchique» : le désir, chez ceux qui ont peur du déclassement et des minorités, de continuer à faire partie des gagnants. […] »
Jean-Yves
Pranchère, professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles
Libération,
13 janvier 2021
(2) «Pagliacisme et populisme», https://inrer.org/2020/06/pagliacisme-populisme-discussion/