samedi 12 septembre 2020

La transgression s’efface des œuvres

 La transgression s’efface des œuvres dès qu’il est question de politique, de religion, de sexe, de couleur de peau

Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde »

Chronique. Le Monde, 11/09/2020

« […] la transgression s’efface des œuvres dès qu’il est question de politique, de religion, de sexe, de couleur de peau. Ce qui fait beaucoup.

[…] vous trouverez des tas d’œuvres qui dénoncent le néolibéralisme, le sexisme, l’homme blanc, les riches, le pouvoir, un cocktail qui brime les pauvres et les minorités. Les sujets sont pertinents, mais leurs représentations collent tant aux discours sociétaux qu’ils deviennent un combat moral, regorgent de bons sentiments, sans imaginaire, nuance ou complexité. Isabelle Barbéris l’a montré dans L’Art du politiquement correct (PUF, 2019), dans lequel elle dénonce un nouvel académisme.

On est loin d’un Genet en littérature, ou d’un Buñuel au cinéma, par exemple Viridiana, Palme d’or 1961, dans lequel une riche héritière aide des pauvres, qui, un soir, se saoulent, pillent la maison de leur bienfaitrice et essaient de la violer – les pauvres sont des riches désargentés. Dans le théâtre, nous dit notre consœur Brigitte Salino, « il n’y a plus de place pour la provocation », alors que cet art est celui de l’affrontement des idées.

[…] Il faut le CV d’Ariane Mnouchkine – femme, 81 ans, de gauche, talentueuse – pour mettre en scène des barbus qui tournent un porno, dont un ressemble au Chaplin du Dictateur, dans Une chambre en Inde.

[…] Un remarquable dossier de Courrier international (dans le daté 3 au 9 septembre) raconte le cas américain. Les artistes qui sortent des clous doivent affronter la cancel culture (carrière ruinée pour actes inadéquats), l’appropriation culturelle (adopter les signes d’une autre culture), le woke (traquer le privilège blanc), les trigger warnings (mise en garde des étudiants sur les passages traumatiques d’un livre), les safe spaces (réservés à une communauté), etc.

Ces armes sont le seul moyen de nous faire entendre, disent des militants de minorités. C’est juste, mais les conséquences tutoient la purification de l’art. Les exemples pullulent, comme celui, en juillet, du roman de l’autrice américaine Alexandra Duncan, bloqué à l’imprimerie à cause d’un passage où elle parle au nom d’un Noir ; elle a demandé pardon pour « une erreur aussi monumentale ». […] »

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